#Saigon forever

#Saigon forever

Ça devait arriver. C’était sûr. Il n’y a rien que je puisse faire. Je quitte le Vietnam demain, le cœur gros, il va sans dire. Trois mois pour l’explorer du nord au sud, c’était mon super plan. Arrivée à Hanoi, départ de Saigon. Quelque 1700 kilomètres séparent la capitale de la métropole. Bien sûr, j’ai un peu triché en zigzaguant au maximum, en tournant en rond, en faisant des arrêts intempestifs, mais j’ai tout de même maintenu le cap vers le sud. Et j’y suis, à Saigon, et mon avion part demain matin.

Je me revois, les premiers jours à Hanoi, complètement déboussolée, perdue, en pleine crise d’angoisse, au milieu de la circulation, de la pollution, du bruit, loin de tout, seule et désoeuvrée, sans trottoirs pour marcher ou carte assez précise retrouver mon hôtel. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais là et le décalage horaire me rentrait en plein dedans. Première fois en Asie, je me disais que j’allais y laisser ma peau et rentrer en pleurant à Montréal par le premier avion.

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Je me demandais surtout ce que j’allais bien pouvoir faire pendant trois longs mois au Vietnam. Une chambre à Hanoi quelques jours, mais rien d’autre de prévu. J’avais pas tellement lu sur le pays, quoi faire, quoi visiter, où aller. Des conseils d’amis grappillés à gauche à droite, des suggestions d’autres voyageurs, des feelings sur des endroits, je me suis laissée porter, j’ai profité, et là, je me demande pourquoi je ne reste pas plus longtemps. Parce que finalement, trois mois, c’est très court. Je pense que je suis devenue une voyageuse pas trop pire (entre la fille qui pleurait de découragement au début à négociante avertie, j’ai fait du chemin).

Je me suis habituée plus vite que je pensais à voyager en solo (en fait, je n’étais jamais complètement seule, les rencontres sont faciles, surtout que je parle à tout le monde), et j’ai beaucoup aimé ça. Seule maître à bord pour toutes les décisions, les directions à prendre, les lieux à visiter, je peux lire-écrire-niaiser-sur-Facebook aussi longtemps que je le veux, ou partir en expédition à 5 h du matin (je ne sais pas pourquoi, mais depuis que je suis au Vietnam, je me réveille entre 5 h et 6 h matin tous les jours), tout ne dépend que de moi.

Aujourd’hui, 30 avril 2015, c’est le 40e anniversaire de la réunification du pays. Ou quand Saigon (devenue Hô Chi Minh-Ville) est tombée ou quand le Nord a gagné, bref, ça dépend de qui en parle, mais bon, c’est une fête nationale. Une partie du centre-ville était fermé à la circulation, une parade militaire et des discours avaient lieu avec des dignitaires d’un peu partout au pays. J’allais pas rater ça, pour ma dernière journée en plus. Mais bon, en m’approchant ce matin du Palais de l’indépendance, tous les routes et accès étaient bloqués, gardés par des barbelés, des militaires, des policiers, des gardes de sécurité. Je n’ai rien vu pantoute, j’ai fait le tour plusieurs fois sous une chaleur cuisante, pour me faire dire partout qu’il fallait une invitation. J’ai donc fait comme tous les Vietnamiens et j’ai regardé la cérémonie (assez plate d’ailleurs) à la télé.

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Saigon était mon objectif ultime. Je la craignais autant que je l’espérais. La mythique capitale du sud me narguait en tendant les bras affectueusement. Son effervescence et bourdonnement dont on m’a tellement parlé pendant ces 3 mois, me titillaient, m’attendaient. J’avais autant envie de la découvrir que de ne jamais y arriver, car c’est là que mon voyage prendrait fin. J’y arpente les rues depuis 3 jours et c’est un concentré puissant du reste du pays, la modernité et les gratte-ciels en plus. J’y ai visité quelques galeries, librairies, cafés, marchés, musées, et le désordre ambiant va nécessairement me manquer, même si ici, il est moins visible qu’ailleurs, quoique, pas en matière de circulation. La démesure a maintenant un nom, et même si la première ligne de métro est en construction, l’amas de motos, scooters, voitures, autobus, vélos, piétons restera impressionnant et chaotique. Et ça va me manquer, oui.

J’irai flâner au marché de nuit pour ma dernière soirée, boirai une petite bière en terrasse en mangeant mon dernier repas vietnamien, flânerai, flânerai, flânerai et aurai une bonne raison de pleurer quand je fermerai pour la dernière fois ma valise demain matin. Saigon forever.

Jack et Dalida

Jack et Dalida

2015-04-14 12.45.56J’aime les chambres d’hôtel. Leur anonymat relatif ou au contraire leur exubérance kitsch, et les Vietnamiens s’y connaissent bien en kitsch, vous pouvez me croire, ici, c’est un sport national. Depuis Ninh Binh, région magnifique au sud d’Hanoï d’où je vous ai écrit mon dernier billet, j’ai trotté pas mal et échoué dans de nombreuses chambres d’hôtel, de guesthouse ou de homestay (chez l’habitant ou bed and breakfast, comme on dirait chez nous).

Je suis aussi plus bronzée, Centre et du Sud du Vietnam oblige, car il a bien fallu que je quitte le Nord que j’aimais tant. Mais je suis triste : il me reste un peu moins de deux semaines en sol vietnamien. Ah non! Pas déjà. Je ne veux plus jamais, jamais partir. Chaque fois, c’est pareil, je m’attache et je dois me déchirer après. Moi, j’en peux pu. C’est décidé, je reste ici pour toujours. Dans ma chambre d’hôtel bizarre de Vung Tau, une ville même pas belle ou le fun. Mais je suis ici et j’y reste. Bon.

En fait, je devais prendre un bateau hier soir pour me rendre sur les îles Con Dao, mais en arrivant dans ce faux Miami désuet vietnamien sans charme, Vung Tau, dis-je, la gentille dame du traversier, m’a expliqué que le ferry avait été réquisitionné par l’armée. Et comme il n’y a qu’un seul bateau par jour et que je ne suis pas un militaire, ben, je dois attendre le lendemain. Le hic, c’est que la traversée dure 12 heures (en temps vietnamien ce sera plus long), je perds donc une journée complète. OK, j’ai du temps, et je le prends depuis le début de mon voyage, mais là, mon avion décolle tout de même de Saigon le 1er mai… c’est bientôt, très bientôt.

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Ça fait quelques jours que j’ai commencé à sentir une petite urgence me pogner là où ça fait mal. Je relaxais pas mal depuis février, prenant vraiment mon temps à chaque endroit, y restait plus longtemps qu’il fallait pour bien sentir tout ce que j’avais à sentir, mais l’urgence me rattrape et ce contretemps me fait un peu bouillir le sang. Surtout qu’hier matin, j’ai pris un bus à 5 h 30 de Mui Ne pour arriver à temps… Peine perdue, je balade dans les rues de la ville vide depuis hier.

Être coincée dans un endroit bizarre me fait repenser aux dernières semaines et aux personnes rencontrées. Comme Jack, le motard avec lequel j’ai passé 5 jours dans les montagnes au début de la semaine et qui était totalement sous le charme de Dalida (surtout « Je voudrais mourir sur scène ») quand je lui ai fait connaître. Il voulait continuer toute la nuit à boire des bières et écouter la belle Égyptienne se déchirer d’amour. Les Vietnamiens, et Jack (de son vrai nom Khuong) n’y échappe pas, adorent les chansons d’amour. Dans la rue, les voitures, les KARAOKÉS, partout, des chansons d’amour. En vietnamien surtout, un peu en anglais, parfois en espagnol. De nombreuses reprises de chansons françaises, mais l’amour, l’amour partout.

C’est comme l’autre matin, Jack, encore lui, m’a emmenée dormir dans un petit domaine à Di Linh. Le proprio sud-coréen a été policier en Belgique et parle un français impeccable avec ce magnifique accent belge tonique. Il est marié à une Vietnamienne charmante et leurs bungalows sont entourés de plantes, fleurs, arbres incroyables, et c’est tellement beau que je me suis réveillée et des mariés, la femme en robe vert flamboyant et son futur en blanc brillant, se faisaient prendre en photo dans ma cour. Tout le monde est parti à rire, moi mon pyjama sur le dos, et les mariés et le photographe, sourires éblouissants. Quelques minutes plus tard, un autre couple, l’homme aussi en blanc et la femme tout en rose, mauve et crinoline, se sont étendus devant mon bungalow. Kitsch, oui, et l’amour et les mariages partout, tout le temps. Le Vietnam c’est ça aussi.

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Mais seule dans ma chambre d’hôtel, le temps est propice à la réflexion, la lecture, l’écriture. Dehors, il fait une chaleur étouffante, près de 40 degrés aujourd’hui, et Vung Tau n’a pas le charme des petites villes de bord de mer ou des villages de montagne. C’est très cher, les avenues sont larges, et la circulation est supportable, mais c’est un Vietnam plus aseptisé, policé pour les riches Saigonnais qui viennent ici la fin de semaine échapper à la touffeur de leur ville. J’ai hâte de retrouver les marchés locaux, les villages de pêcheurs, les plages désertes et la proximité avec les gens. Finalement, je vais quitter Vung Tau et continuer mon voyage. Con Dao, on a rendez-vous demain.

Voyage, voyage

Voyage, voyage

La semaine dernière, studieuse comme une voyageuse en vacances dans un café d’Hanoi, deux garçons se sont invités à ma table. Peut-être la mi-vingtaine. L’endroit était bondé en cette fin d’après-midi collant et je travaillais depuis quelques heures, donc un break-discussion n’était pas de refus.

L’un m’a dit travailler dans une banque du centre-ville et rêvait d’aller poursuivre ses études aux États-Unis. L’autre, moins loquace en anglais, étudiait l’économie ou la finance, je ne saurai jamais. Nous avons partagé en rigolant des coconut cafés, rencontre sublime entre de la délicieuse crème glacée à la noix de coco onctueuse et du café vietnamien très fort. Un mélange parfait. La quintessence du café (il faut aimer le coconut, c’est sûr) À un moment, l’un des garçons a sorti un paquet de cigarettes pourpre de sa poche et m’a proposé le plus gentiment du monde une de ses longues, très longues cigarettes… à la cerise. Je riais dans mon coin, ai fumé des cigarettes sucrées avec eux, et je suis partie quelques heures plus tard après avoir reçu tous les compliments de la terre…

J’ai aussi croisé la route d’un Suisse dans un café-galerie où j’étais allée écrire tranquillement. Il venait y présenter une expo et la journée où je suis passée, Hubert, c’était son nom, immergeait des nains de jardin, des vrais de vrais nains de jardin, la tête exceptée, dans des cubes de béton frais. C’était la fête entre lui et l’ouvrier affairé. Les rires traversaient la grande maison blanche et je n’ai pu m’empêcher d’aller leur jaser et d’observer de plus près le processus. Le but de l’opération est de démouler les cubes de béton quelques jours plus tard et de présenter ces bétonnés nains avec des illustrations pour une expo. En tout cas, c’était pas pire drôle et ce Suisse était génial.

C’est ça qui le fun quand tu voyages seule, tu peux te laisser porter par les rencontres, ton instinct ou tes envies de découverte. C’est la première fois que je le tente l’expérience plus qu’une semaine ou deux. Et ça me faisait peur un peu, au début, c’est sûr, mais je suis maintenant tout à fait confortable à ma 7e semaine de voyage, je commence même à trouver que 3 mois au Vietnam, c’est un peu court, franchement.

Il y a quelques jours en vélo sur les petites routes paisibles de la région de #NinhBinh, j’étais bien. Mais tsé vraiment bien. J’étais pas montée sur un bicycle depuis l’automne dernier, et j’avais oublié le plaisir de pédaler joyeusement. J’ai fredonné un peu de Leloup dernière mouture et je regardais les rizières et le travail des villageois des alentours. À mon passage, les enfants criaient « Hello! » et tendaient la main, les yeux brillants. Les gens sont souriants et ça me donne envie de sourire aussi. Quand le visiteur moyen prend la peine de sortir un peu des circuits touristiques, une telle fraîcheur teinte ses rencontres et la curiosité est souvent réciproque. Malgré le peu de mots échangés, les gestes et le sourire disent tout, alors que règnent dans les endroits touristiques une guerre de prix, une ambiance d’arnaque permanente et une rudesse parfois malvenue. Et je suis polie.

Ici, près de Ninh Binh (communément appelé la « baie d’Halong terrestre » à cause de ces pics rocheux et montagnes verdoyantes au milieu des rizières, c’est dans la région qu’a été tourné le film Indochine avec Catherine Deneuve), c’est un Vietnam un peu différent, tout en douceur, encore ancré dans les traditions, la vie entre rizières et rivières, tourisme et agriculture. Tout ça va changer rapidement avec les projets hôteliers et immobiliers qui sont en chantier, mais pour l’instant, c’est le paradis sur terre. Pour moi, du moins.

Il me reste 5 semaines avant le grand départ vers Paris de Hô Chi Minh-Ville. Je me dirigerai dans les jours prochains vers le centre du pays, ayant exploré le nord depuis le début de février. En 7 semaines, des affaires assez bizarres, très étranges et parfois surprenantes me sont arrivées. Je me suis laissée porter, j’ai profité, j’ai rencontré des gens merveilleux (les autres je ne leur parle pas), mais mon problème, c’est que je tombe en amour avec les endroits visités et ne veux plus partir. Je le vis comme une séparation déchirante chaque fois, comme si je devais m’enfuir avant d’avoir pu vraiment saisir l’essence de tel ou tel endroit. Je suis une grande romantique dans le fond. Et ce voyage me le confirme un peu plus chaque jour. Voyage, voyage quand tu me tiens.

Vietnam, je t’aime moi non plus

Vietnam, je t’aime moi non plus

L’adage dit que ça prend 21 jours pour s’adapter à une situation nouvelle. Aujourd’hui, lundi 2 mars il y aura un mois que je suis disparue de Montréal. Deux jours plus tard, le 4 février, je mettais les pieds et la tête au Vietnam. Un soir de la semaine dernière, j’ai dansé seule dans ma chambre d’hôtel d’Hanoï en redécouvrant le dernier Arcade Fire que j’avais boudé pour aucune raison valable à sa sortie.

Comment résumer ces quelques semaines? Franchement, je ne sais pas. Il y a eu des moments de déception et d’autres de pur plaisir. Comme sur l’île de Cat Ba entre le 14 et le 21 février. J’y étais pour les célébrations de la nouvelle année vietnamienne. Plage, randonnée, kayak, plage, balade en scooter, et re-plage. Et bonne bouffe, et plusieurs bières avec un couple d’Allemands qui me manque beaucoup, Sarah et Philipp, mais aussi des Français, des Danois, des Roumains et des Espagnols. Une île et une ville tournée vers le tourisme – et infernale l’été m’a-t-on dit avec tous les visiteurs vietnamiens et chinois –, mais durant les vacances du Têt, c’était le paradis. Une île fantôme et des plages désertes.

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Et ces quelques jours à Hanoi, la semaine dernière, où je déambulais simplement dans la ville, passant d’un café sur les bords du lac Hoan Kiem, à la bibliothèque du Centre culturel français, à un autre café milendien pour bosser et écrire, et la rencontre d’une francophile au Musée d’ethnographie du Vietnam qui m’a fait une visite privée gratuite dans la langue de Houellebecq.

Et je vous ai pas dit, on m’a dit deux fois que j’étais grande depuis mon arrivée. C’est vrai que les Vietnamiennes ne sont pas les plus longues sur pattes, mais me considérer comme une grande femme, je suis flattée. Difficile de les approcher, de les comprendre parfois, les Vietnamiens, mais cette comparaison par la taille, me fait entrer de plain-pied dans leur monde, même si 5 pieds et 2 pouces, c’est pas très grand.

Je pense sans arrêt à mon roman, je prends des notes, je voudrais publier tous les jours sur #Checkmestomates, faire de ce voyage un lieu privilégié d’écriture, de réflexions, de rencontres inédites entre moi et mes mots. Je suis la même mais différente. Je rêvasse, divague, invente des personnages, traîne sur Facebook ou Instagram, nourrit quotidiennement mon Tumblr et tiens bien avec nonchalance un journal papier, où j’écris à la main d’une écriture serrée, un résumé de mes rencontres, déplacements, découvertes, déceptions, joies, interrogations. Mais quoi, mais pourquoi écrire ça?

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Je n’ai pas encore trouvé comment répondre à ce désir pressant d’écriture (même si j’ai commencé à noter toutes les personnes rencontrées, avec descriptions, moments partagés, et fous rires échangés). Démarrer un vrai blogue de voyage avec les endroits visités et mes conseils aux autres intrépides? Poser les bases d’un récit de voyage? Travailler sur des nouvelles commencées mais pas finies qui parlent de neige et de motoneige? Travailler avec rigueur sur mon roman?

Celui-ci me lorgne du coin de l’œil, mais Marie est partie explorer le Vietnam (et peut-être le Laos) de son côté. J’espère la recroiser bientôt. Et son départ me ramène à la question qui me taraude depuis mon départ : que vas-tu faire 3 mois durant? Bon, il ne me reste maintenant plus que 2 mois pour me rendre à Ho Chi Minh Ville, mais vais-je jouer à la touriste (ce que j’essaie de faire de mon mieux, mais qui n’est pas tout à fait ma tasse de thé), m’installer plus longtemps dans certains lieux et m’y plonger et écrire, ou encore me laisser porter et ne me poser aucune question? J’alterne ces trois états depuis un mois, et si la cohabitation est parfois harmonieuse, ce n’est pas de tout repos non plus.

J’ai pris un train de nuit la semaine dernière pour me rendre dans les montagnes du nord-est, tout près de la frontière chinoise. Là, dans un restaurant d’hôtel baigné de soleil, j’ai rencontré Robert, un professeur de psychologie et psychanalyste montréalais à la retraite. Nous avons passé 3 jours ensemble dans la région de Sapa et beaucoup discuté. Nous avons loué des scooters et nos échanges riches se poursuivaient même lors nos arrêts sur le bord de la route pour contempler les paysages.

Avec lui, je me sentais stimulée intellectuellement et challengée culturellement. Robert a beaucoup voyagé en Asie et en Europe depuis une quinzaine d’année, et curieux comme un jeune homme, et la parole pleine d’anecdotes savoureuses que seule l’expérience peut nourrir, il m’a raconté un peu sa vie, ses voyages, ses filles, son travail, ses étudiants, ses recherches. Mais plus intéressant, Robert s’intéresse dans ses déambulations en solitaire aux différents types de voyageurs, et tente de cerner leurs profils psychologiques et engagements dans les pays visités. Nous avons abordé le secret, l’inracontable d’un voyage, tout spécialement dans le cas d’un voyage en solitaire.

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Il y a quelques semaines, une amie a porté à mon attention le texte « Pis, c’tait tu cool? » publié sur le site Les populaires. La comédienne Myriam Sophie Deslauriers y aborde avec beaucoup d’humour et d’autodérision, son retour d’un voyage en Inde, et la réaction des gens lorsqu’ils lui demandent de raconter comment c’était. En fait, elle sait pas trop quoi répondre, et c’est vrai comment raconter ça? Je vous en mets un petit bout, parce que son texte est vraiment bon, mais allez le lire au complet ici :

« Fait qu’un mandné t’es juste tellement écoeurée de t’obstiner à essayer de comprendre rationnellement les choses, tellement à boutte d’échouer lamentablement que tu gueules fuck-off à ton jus de cerveau pis t’arrêtes d’essayer. Pis là. Elle t’apparaît l’Inde. Immense, magistrale, riche, fière, comme une reine, pis tu te mets à ressentir un nouveau spectre de la vie, que t’aurais même pas pu t’imaginer parce que c’est trop éloigné de ce que t’as toujours connu.

Pis ça c’est crissement dur à décrire. C’pour ça que j’pas capable de t’expliquer en gueulant par-dessus la dernière toune de Beyoncé. »

Je ne comprends toujours pas ce que je suis venue faire ici, et c’est tant mieux. Mon cerveau bout pendant que mon corps subit les assauts du voyage et de la chaleur. Mais ce désir d’écriture prend toute la place. Ce soir, dans ma chambre d’hôtel de Bac Ha, je suis seule avec moi-même. Je n’ouvre plus la télé depuis 2 semaines, un vague projet avec des Françaises demain, sinon peut-être vagabonder dans les environs, lire et écrire, et tenter d’être ici, à Bac Ha (et un peu beaucoup sur Internet, je suis une indécrottable accro), en écoutant doucement le dernier d’Arcade Fire.

D’Inukjuak à Hanoi

D’Inukjuak à Hanoi

Je suis partie il y a tout juste une semaine, le lundi 2 février. Et je peux vous l’affirmer sans détour : c’était dans un autre monde, c’était une autre moi. Depuis mon arrivée à Hanoï, mercredi soir, je flotte, je plane, je décolle, je m’écrase. Car oui, c’est un choc et l’impact initial n’est pas le pire moment à passer.

Un choc physique d’abord, quelque 35 heures de déplacement, vols, transferts, attente entre Montréal et la capitale vietnamienne, m’ont laissées vidée, exténuée, déjà que l’angoisse pré-départ avait fait son travail sur mon fragile équilibre psycho-émo-boulot.

Puis un choc spatial. Comme si une météorite géante m’était rentrée dedans et que depuis j’essayais de rassembler tous les petits morceaux de mon moi éparpillé dans l’univers chaotique d’Hanoï.

Car oui, en ce moment pour moi, mais moins chaque jour qui passe, je peux vous l’assurer, le chaos ressemble à Hanoi. Un beau chaos chaotique, certes, touffu et dense. Une falaise abrupte mais magnifique, dangereuse, où les prises sont rares, mais tellement apaisantes lorsqu’elles surviennent.

Aujourd’hui, lundi 9 février, je commence à retomber sur mes pattes. Je me fraie un chemin plus aisément entre les milliers d’autos, de scooters, de vélos et de vendeurs ambulants. Je peux marcher des petits bouts sans avoir les yeux rivés sur une carte indéchiffrable. Mais, surtout, j’ai retrouvé un petit peu mon rythme et mes habitudes déambulatoires, et juste cela me rend euphorique. Yeah! Je souris toute seule et ça, c’est bon signe.

À l’été 2013, Sandra était à Inukjuak. Seule. Oui, seule, car isolée dans un village de 1600 âmes. Avec rien autour sauf de la toundra, des plages vides et la possibilité d’aller chasser et pêcher avec ceux qui la laissaient s’approcher. Elle en a tiré de magnifiques photos (qui seront exposées un peu partout en 2015! Je suis tellement fière d’elle!), mais sur le coup, disons que c’était pas rose tous les jours. Je compatissais avec elle, l’aidais du mieux que je pouvais – on se jasait sur Skype presque quotidiennement –, mais je ne pouvais comprendre tout à fait sa détresse.

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Sandra m’a offert ces boucles d’oreille en bois de caribou quand elle est rentrée d’Inukjuak. Je les porte devant quelque chose comme un pont Jacques-Cartier en miniature très rouillé.

J’imagine que les semaines qu’elle a été là, son enfer et son paradis (allez les références catholiques!) à elle ont été ce village du Nord. Son enfer, mais aussi sa raison d’être, car elle y allait appareil photo au cou et projet dans la tête. Comme si on aimait et détestait toujours en même temps et qu’il fallait que ça écorche pour que ça vaille la peine. C’est cliché, certes, mais dans ma situation, là, maintenant, ça me fait du bien de me le répéter. Je me dis que je n’ai pas fait tout ce chemin pour rien et que ma décision de partir 3 mois seule était un élan du cœur, tellement réfléchi et idéalisé avec le temps, qu’il est devenu une décision assumée pleinement, bien sûr avec le lot de hasards et de coups de tête que cela comporte.

Donc, depuis mercredi, j’alterne entre plaisirs intenses et découvertes incroyables, et accablement puissants et déprime sournoise. D’un naturel joyeux et optimiste, j’ai plus de hauts que de bas, mais les bas font plus mal aussi. J’ai le moral, oui, mais mon corps ne suit tout simplement pas. Je ne dors presque pas depuis mon arrivée. Le décalage horaire (ou le stress, l’angoisse, le dépaysement, le fait d’être seule, mettez ici ce que vous voulez) me tue. Je suis un zombie fonctionnel le jour et une terrible insomniaque hyperactive la nuit.

Je bois de l’eau, me repose, écoute les sons de mon corps, fais seulement ce que j’ai envie sans stress ou horaire précis, mange des trucs santé (je suis si heureuse, je ne suis pas malade, et la bouffe est au-dessus de l’incroyable), et tente de retrouver un rythme normal.

Des somnifères? J’en ai jamais pris de ma vie, pourquoi commencer maintenant? (Solution à considérer si je n’ai pas dormi dans 6 jours.) M’assommer à l’alcool? Je n’ai pas vraiment envie de boire et étant une buveuse sociale, là je suis seule, donc non (c’est pas vrai, samedi j’ai été au vernissage de l’expo Life of Têt à la Art Vietnam Gallery et j’ai bu une bière avec des expatriés et des Hanoïens, dont le peintre Nguyen Cam dont, j’ai beaucoup aimé le travail et la discussion), je ne boirai pas pour m’assommer.

Reste l’écriture. Une bouée d’air frais dans cette ville polluée et incroyable. Je tiens un journal/carnet, je ne sais pas trop comment l’appeler encore. Et je prends vraiment du plaisir à mettre sur papier tout ce qui est pogné en dedans. Sinon, je suis déjà repartie à la recherche de Marie. Elle est polymorphe et cachottière, ma narratrice. Je l’aime bien comme ça.

Hashtag voyage

Hashtag voyage

Tic tac tic tac… plus que quelques jours avant que moi et Sandra soyons séparées. Ah non! Pas encore! Sandra à Inukjuak, c’était à l’été 2013, et on s’est vu tout le temps depuis (on habite pas bien loin et on s’envoie 44 textos/messages par jour). On a même été ensemble à Winnipeg l’été passé. Mais là, coup de théâtre, c’est moi, Annabelle, qui pars. Et longtemps.

En tout cas, moi je trouve ça long, 4 mois. Je me paie la traite, et pas à peu près : 3 mois au Vietnam et 1 mois en Europe après. Ce qui fait que je vais revenir et ça va être l’été. On fera des piques-niques, les piscines ne seront pas encore ouvertes mais presque, et il fera beau, parfait pour une p’tite bière en terrasse.

Je suis énervée, vraiment énervée. À quelques jours du départ (je m’envole le 2 février de Montréal et arrive le 4 février à Hanoi), je suis encore prise dans mes derniers contrats, projets et autres deadlines absolument intenables.

Je suis fatiguée, mais j’ai comme toujours un sourire étampé dans la face. Pour rien, parce qu’il fait froid, parce que je biffe un truc à faire de ma liste, parce que les hot-dog du coin de la rue, goûtent les hot-dog du coin de la rue. En deux mots : je vais voler en apesanteur jusqu’au 4 février 14 h 10, heure de mon arrivée à Hanoi.

Faque, je vais vous parler un petit peu de là-bas ici. J’ai aussi fait un Tumblr (c’est ma première fois avec cette plateforme, pardonnez mon thème pas beau et mes gaffes) et je vais y mettre quelques photos et réflexions. En fait, je sais pas trop, parce que j’ai jamais été au Vietnam, ni en Asie, donc, je verrai sur place ce que j’ai le goût d’y mettre, mais ça va sûrement parler de littérature et de rencontres insolites. En tout cas, je prends les suggestions. C’est là : hashtagvietnam.tumblr.com

Sandra de son côté a plein de projets et d’expos à venir, elle va vous en parler aussi sur Check. Il est question de photos avec des ados. L’autre jour, je suis passée chez elle, et elle avait un écran pis de la tapisserie pour son studio, parce que Madame s’est fait un studio photo dans son appartement, oui, oui.

Il y avait aussi plein de meubles à moitié restaurés (elle est super bonne pour arranger des vieux meubles, ils deviennent vraiment beaux, pis elle pourrait les vendre cher que je lui dis chaque fois, elle me répond toujours que c’est pour les shootings pis les expos), de la peinture, des tattoos et de la vaisselle fancy. Comme je serai pas là pour voir tout ça, je compte sur elle, pour mettre une couple de photos sur Check.

Winnipeg crew

Winnipeg crew

On y est depuis dimanche soir, et on avait hâte de vous en parler, de Winnipeg. C’est loin, vous le savez, mais c’est encore plus loin que vous le pensez. On a mis 2 jours et demi pour y arriver. On avait jamais fait ça, nous, conduire aussi longtemps. Une chance que les routes sont belles en Ontario. C’est comme conduire dans le parc des Laurentides ou sur la 138 vers le nord, avec une station-service et une ville bizarre une fois de temps en temps. Des Tim Hortons aussi et des Wendy’s.

Tout le monde nous disait de faire attention aux « mooses ». Ils avaient raison. On a bel et bien vu des orignaux (des femelles et des petits), des chevreuils, et aussi un coyote écrasé sur le bord de la route. Sandra en parle encore, du coyote.

Ça ressemble beaucoup au Québec le nord de l’Ontario. Il y a de la forêt et des montagnes, beaucoup de lacs, de pourvoiries et de construction sur les routes. On se disait que c’était pas possible que le Manitoba soit plat comme dans nos livres d’histoire du secondaire. On avait tort. Peu de temps après avoir traversé la frontière, les montagnes font brusquement place à des champs. C’est tellement cliché, qu’on y croit pas vraiment. On a le retour pour se faire une idée.

En arrivant dimanche après-midi, c’est la pluie qui nous a impressionnées. Pluie, pluie et pluie. Ça nous a pas empêchés de vouloir visiter tout de suite la ville. Notre hôtel (en fait, c’est un bed & breakfast) est à Saint-Boniface. Le quartier francophone de Winnipeg. On a vite réalisé qu’il fallait traverser un pont, pour arriver dans le centre-ville, la partie anglophone de la ville. Oui, oui, comme à Ottawa et Gatineau, on traverse un pont pour passer d’une langue à l’autre. Ça aussi, on trouvait ça cliché, mais on va se garder nos commentaires pour nous.

La pluie était vraiment intense, et tout était inondé. À notre arrivée, il tombait des cordes depuis 3 jours, mais Sandra et moi on a peur de rien (pis on était dans une auto depuis 3 jours), donc on a pris nos parapluies et en avant l’aventure! Gris, trempé et vide (c’est vrai qu’on était dimanche à 16 h), le centre-ville de Winnipeg nous a paru étrangement abandonné. On a trouvé un pub et savouré notre arrivée en regardant d’un oeil vraiment distrait le match entre l’Argentine et la Bosnie-Herzégovine. Aucune idée du vainqueur, mais au retour, Sandra a cassé son parapluie parce que je l’ai fait enjamber des hautes clôtures et des tracks de chemin de fer. Je me sentais wild et elle aussi.

check2webÀ la sortie du pont, côté Winnipeg, collé sur la rivière rouge, il y a un étrange bâtiment. Tout neuf, tout en hauteur, on dirait la rencontre entre une église et un bunker. Un grand panneau indique : Ouverture septembre 2014. Et juste en dessous : Musée canadien pour les droits de la personne. Sandra, d’emblée, se demande ce qu’on peut bien exposer dans un musée des droits de l’homme. Ce que l’on trouve sur Internet nous donne comme moins envie d’aller le visiter. On y traitera (d’un point de vue « canadien ») de l’Holocauste et des privations des droits de la personne dans le monde. Dans son article, Isabelle Hachey le surnomme le « musée des controverses ». Bref, depuis, on regarde le bâtiment avec circonspection.

Lundi, le lendemain de notre arrivée, Sandra et moi avons monté son exposition. J’ai travaillé de mon côté aussi, c’est pas parce que je suis à 2600 km que mes clients vont attendre. Non, je fais comme si j’étais dans mon bureau à la maison. J’ai essayé deux cafés du quartier, mais là, je suis dans le gazebo en moustiquaire de notre gîte. Justement, je voulais vous en parler de notre B&B. Moi et Sandra, on est pas habituées à des places comme ça (c’est la galerie qui a réservé pour nous). Notre hôte, très gentille dame de 77 ans, a un paronyme français et adore Ricardo. Elle a même une photo d’elle et lui dans sa cuisine. Mais l’affaire, c’est que l’on est dans sa maison, chez ELLE, et qu’on est plus habituées de se rapporter à quelqu’un comme ça. Aussi, sa maison est remplie de Marie-Jésus-Joseph-Fatima-chapelets, de coussins en coeur et de rideaux fleuris. Disons que ça surprend. Mais les déjeuners sont copieux, ce matin, il y avait sur la table des gaufres en coeur et de la compote de pommes maison.

Non, ce qui est le plus étrange, c’est que notre gentille hôte met son pyjama vers 16 h (ou plus tôt, c’est selon), et se couche vers 18 h 30. Surtout qu’ici, il fait clair très tard. À 21 h 30, on dirait qu’on est en plein après-midi.

check3webHier, après son atelier (Sandra donne des ateliers de photos à des groupes scolaires), on a voulu aller se boire une petite bière au soleil. Selon les conseils d’un Rimouskois habitant Winnipeg depuis 10 ans, on est allé au Beer vendor le plus près (une porte glauque, donnant dans un bar glauque, se trouvant sur une rue glauque), et on s’est dirigé vers la cathédrale de Saint-Boniface dont il ne reste que les murs et la façade, pour savourer notre nectar local. Notre plan a complètement foiré quand des pompiers sont sortis de l’enceinte de la cathédrale escortant un homme passablement imbibé. On a fait demi-tour, salué la tombe de Louis Riel, et avons posé nos pénates sur le bord de la rivière rouge, le musée-cathédrale bien en vue, et avons relaxé dans l’herbe. Si quelqu’un se plaint qu’il y a beaucoup de moustiques au Québec, je l’envoie faire un stage de 3 mois au Manitoba. On a pas le monopole des bibites (le gazebo c’est juste pour faire beau dans notre histoire), Winnipeg est un nid à moustique, brûlots et autres machins volants qui piquent.

Mais peu importe, parce qu’ici, on parle d’arts visuels au téléjournal de 18 h. Et juste ça (Sandra y parle de son expo vers 18 minutes, et non, elle n’est pas Française), ça nous rend la ville plus sympathique encore, même si pour l’instant, elle est encore un mystère pour nous.

Manitoba, nous voilà!

Manitoba, nous voilà!

Il y a un an, en fait, un an et quatre jours, parce que c’était le 8 juin 2013, Sandra et moi mettions en ligne, le premier billet de Check mes tomates : « Check mes tomates.1 ». On avait vraiment de la suite dans les idées pour les titres (encore aujourd’hui comme vous pouvez le constater), l’avenir était tout en rose et rouge, et on vous promettait plein d’affaires :

  • des piqures de moustique en gros plan
  • des excuses pour ne pas travailler
  • des paysages magnifiques que vous ne pourrez jamais vous payer
  • des recettes et pas que de tomates
  • des brouillons mis en page

Il faut croire qu’on avait de la suite dans les idées pour les promesses aussi. Sandra s’est envolée pour Inukjuak et je suis restée à Montréal pour écrire, c’était prévu, c’est arrivé.

Ce qui était moins prévu, c’est qu’on continue après l’été. Mais, on a eu envie de le faire, et on l’a fait avec plaisir, peut-être pas aussi souvent qu’on l’aurait voulu, mais Sandra a continué à mettre des photos et donner des nouvelles de ses projets, et moi, j’ai continué à vous parler de mon roman et d’écriture. Martin va bien, je vous remercie.

Pis là, un an plus tard, Sandra et moi avons eu une idée (folle). Comme elle exposait au Centre culturel franco-manitobain de Winnipeg (des photos d’Inukjuak, entres autres, comme quoi tout est dans tout), on a décidé de se taper un périple en char jusque-là. Partir à deux, ensemble, sur les routes vers l’Ouest durant 2320 km! Oui, monsieur-madame, c’est beaucoup de kilomètres, ça.

On va bien sûr en parler ici, et enfin, on va être ensemble et plus séparé comme l’été passé. C’est tout un renversement de situation, non, vous vous attendiez pas à ça? En tout cas, nous deux on est ben contentes. On voit ça comme un genre d’expérience, surtout qu’on a plein de projets photo/écriture pour la route.

Donc, vous allez nous entendre durant les deux prochaines semaines, on va prendre des photos (#checkmestomates), peut-être donner des recettes de bibittes à poil (pas de caribou, cette fois), et vous pourrez découvrir avec nous le Manitoba (et l’Ontario)! Dans ma tête, c’est presque aussi abstrait qu’Inukjuak, mais bon, Sandra est là pour me ramener sur la terre.

Une autre affaire, merci à tous ceux qui ont suivi un blogue qui s’appelait Check mes tomates. On a eu ben du fun, j’espère que vous aussi.

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Blue Motel

Blue Motel

En arrivant hier, j’ai surpris les propriétaires. J’étais la première cliente du motel de l’année. Ils avaient ouvert à peine une heure plus tôt. La réception était assez bordélique et la femme cherchait comment faire fonctionner la machine Interac. J’ai passé ma propre carte et j’ai pris les clés de ma chambre. La numéro 1. Soixante-huit dollars pour avoir la paix. Pour regarder le fleuve, là tout près.

J’avais à ma disposition une chaise orange de plastique, ronde et belle, sortie tout droit des années 1970. En tout cas, c’est mon impression. Bref, je me suis assise dessus et j’ai regardé le fleuve. En face, il y a La Malbaie. À gauche, une île avec des fermes, je peux voir les silos et la flèche d’une église. Mon voisin a une chaise jaune poussin.

Deux hommes sont arrivés au motel un peu après moi. L’un avait dans la vingtaine et l’autre, dans la quarantaine. Un père et son fils, je me suis dit. Ils ont hérité de la chambre numéro 3.

La chaise orange n’est pas confortable. Je me suis installé dans les escaliers avec mon cahier de notes. J’étais pas juste venue à l’hôtel pour le paysage. Je voulais surtout terminer une nouvelle. Une histoire de gâteau au caramel, de famille, pis de chalet. Je la traînais depuis quelques semaines et je me suis dit, pourquoi pas une chambre de motel face au fleuve?

Parfois, à Montréal, dans mon bureau, dans ma ruelle, je m’imagine écrire ailleurs et souvent je pense à une chambre de motel ou une maison sur le bord du fleuve. Je pense que l’eau pis les oiseaux, pis les marées pis toute, ça va m’inspirer et me calmer. Ça paraît que j’ai grandi en banlieue : je suis bien que trop romantique. Les oiseaux, ça fait du bruit en masse, j’ai de la misère à distinguer les oies blanches des mouettes, il y a un vent de fou et le début du mois de mai, c’est vraiment pas chaud dans le Bas-du-Fleuve. J’ai repris mon char pis je suis allé au village me chercher de la bière pis de quoi me faire un souper en tête à tête avec mon ordi. J’écrirais plus tard.

En revenant, les deux gars de la chambre numéro 3 étaient sur leur balcon et entamaient leur 2e bouteille de vin. Le plus jeune était en bedaine et criait. Aucun rapport avec ceux que j’avais croisés à la réception plus tôt. Je me suis ouvert une bière et je les ai écoutés sur ma marche d’escalier. J’ai pas compris leur relation (un chef scout et sa recrue?). En tout cas, après la 3e bouteille de vin, ils sont rentrés dans la chambre et je ne les ai plus revus de la soirée. Ce matin, en me levant, ils étaient déjà partis.

Dans la chambre, en face du lit, il y a une photographie d’un paysage marin. Une pointe rocheuse s’avance dans la mer, un conifère quelconque élève ses épines et il y a des monts enneigés au loin, de l’autre côté de l’eau. Les bleus sont trop bleus, les blancs trop blancs et les gris trop gris. Ça pourrait être ici ou ailleurs, peu importe. Comme si les voyageurs de passage pouvaient faire abstraction du paysage qui leur crève les yeux et qu’on voulait leur rappeler sa présence. Ça m’a fait penser aux touristes qui ne font que prendre que des photos pour s’en rappeler plus tard ou les montrer à leurs amis et familles, dans le confort dans leur maison, sans en profiter pendant qu’ils sont dedans le paysage, parce que vite vite vite, il y a autre chose à visiter.

J’ai écrit jusque tard dans la nuit. J’avais fermé les stores verticaux de la porte patio, mais vers minuit, je les ai ouverts. La marée était vraiment basse, je n’entendais aucun bruit venant du fleuve, les oiseaux dormaient, mes voisins aussi. Au loin, quelques lumières de La Malbaie. Si j’avais encore été fumeuse, je me serais allumé une cigarette dans le noir. J’ai respiré l’air du large et je me suis dit que demain matin, je prendrais bien une photo de la vue du motel pour la regarder moi aussi quand je serais loin d’ici, dans mon bureau qui donne sur la ruelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

Bang bang t’es mort

Bang bang t’es mort

J’allais commencer à écrire sur la nouvelle année et les résolutions déjà pas tenues 24 jours après le 1er janvier, pis je trouvais ça plate, pis je me disais que j’avais sûrement quelque chose de mieux à dire, que je voulais pas encore me plaindre de mes problèmes d’écriture pis de mes personnages torturés (vous ne perdez rien pour attendre, je le ferai la prochaine fois). Et comme toujours, dans les moments difficiles, Facebook est venu à ma rescousse : « Une téléréalité littéraire (eh! oui!) ». Un clic plus tard, je lisais un article d’Isabelle Beaulieu sur le site Les libraires à propos de la fameuse téléréalité.

Eh! oui!, la téléréalité s’immiscera aussi dans le monde littéraire. Vingt écrivains seront invités à s’installer au château de Brillac, situé à Foussignac, une petite commune française de quelque 600 habitants près de la région de Cognac. Le défi? Les auteurs claquemurés dans ledit château auront vingt jours pour écrire un roman collectif.

On pourra suivre 24h/24 sur la plateforme de l’émission des images prises par les caméras – car il y en aura une dans chaque pièce.

Et bien sûr, comme toute bonne téléréalité, les littéraires n’échapperont pas au spa et à la piscine chauffée. Après tout, il faut bien détendre les cerveaux surchauffés. Et pour écrire de bonnes aventures, ne faut-il pas d’abord en avoir beaucoup vécu soi-même?

Wow minute! Est-ce que j’ai envie de voir des littéraires, des auteurs, écrire collectivement, dans l’urgence et sous des caméras, on est pas loin de Saga de Benacquista là, et en plus se dandiner maillot de bain dans une piscine? Qu’est-ce qui me dérange le plus dans le fond, l’urgence ou le spa? Connaissant un peu les littéraires, ça risque de mal tourner cette affaire-là, surtout que le tournage aura lieu dans un château en plein coeur d’un vignoble.

Et qu’est-ce qu’on va voir? Des personnes devant leur ordinateur, se triturer les méninges sur un paragraphe récalcitrant? Ou s’obstiner (ce sont des Français tout de même), sur le mot juste? L’organisateur promet des séances de réflexion, des lectures, des échanges sur le rôle du livre, et des intervenants comme des éditeurs ou des libraires. Je sais pas pour vous, mais moi, ce que j’aime dans les téléréalités c’est quand les participants s’engueulent, se saoulent et deviennent disgracieux. Est-ce que les auteurs sauront le faire? J’espère bien que oui.

Pour en revenir à la flotte, Dany Laferrière s’est souvent exprimé sur la baignoire comme son lieu de lecture de prédilection (vous pouvez l’entendre en parler ici), mais est-ce que les candidats seront sélectionnés selon leur physique ou leur talent littéraire? Leurs beaux yeux ou leur plume assassine? Pour poser sa candidature (les aspirants ont jusqu’au mois d’août pour le faire), la seule condition est d’avoir publié un livre. À ce propos, il faudrait bien que des écrivains québécois posent leur candidature. Mais qui? Certainement pas Marie Laberge, quoiqu’avec sa couette, elle pourrait se distinguer. C’est important en téléréalité.

Isabelle Beaulieu pose tout de même une excellente question, « Et pour écrire de bonnes aventures, ne faut-il pas d’abord en avoir beaucoup vécues soi-même? » J’ai pas la réponse, mais en tout cas, depuis 2 semaines, je regarde Série noire, pis pour l’instant c’est exactement le créneau : 2 scénaristes qui après avoir écrit une série judiciaire descendue par la critique à cause de son manque de crédibilité, décident d’expérimenter les péripéties qu’ils mettront par écrit pour la 2e saison. Et c’est tout simplement génial. Et drôle. Et pathétique. Et dramatique. Les scénaristes sont interprétés par François Létourneau (aussi scénariste de Série noire, il était derrière Les Invincibles) et Vincent-Guillaume Otis (c’est la première fois que je le trouve bon). J’ai tellement le goût de les voir continuer à se pêter la gueule et à sombrer encore plus!

Je le sais, je viens encore de passer une heure à chialer (même si tu as mis 2 minutes à lire mon texte), mais les littéraires, on aime ça chialer, s’énerver tout seul, pu se pouvoir, se déchirer la chemise, mettre les autres au pilori, lire leur livre pour mieux les démolir… (7 ans d’université en lettres, c’est pas toujours heureux). Pis c’est peut-être pour ça que Académie Balzac pourrait être surprenant (en l’écrivant j’en suis pas si sûre). En tout cas, pour l’instant je me pitche dans Série noire pis je continue d’écrire mon roman dans mon bureau tout rénové avant Noël, parce qu’un beau bureau, c’est beau. Pis que j’ai pas le goût de tuer (fictivement) personne, mais ça ne saurait tarder.