Vieux jeux / Jeux d’enfants

Vieux jeux / Jeux d’enfants

Histoire de vieux.

Il y a encore quelques années de cela, je naviguais entre la France et le Québec. Je m’échappais de l’hiver et vivais alors deux printemps. À l’été 2009, je suis invitée à prendre part à une résidence d’artiste à Tourcoing dans le cadre de la biennale Révèle du Nord. Je ne me souviens plus exactement de l’appel à dossier, mais je sais que j’avais concocté un projet impliquant des personnes âgées.

Je venais de terminer un projet où j’étais enfermée deux jours par semaine à la prison de Loos. D’ailleurs toujours aussi raffinée dans mes blagues, qui selon mon ex était régulièrement vraiment mal placé… je disais aux détenus : « Vous entrez ici en voiture avec escorte alors que moi je franchis 17 portes pour venir vous voir. Par contre, quand je veux pour sortir, ça va vite! » OK, j’avoue, c’est de mauvais goût, mais ils rigolaient du moins devant moi. Quand j’y pense, j’étais courageuse de dire des choses pareilles dans une prison à sécurité maximale…

Bref, revenons à nos petits vieux de Tourcoing. J’ai ainsi pu côtoyer durant trois mois des « aînées » (il n’y avait que deux hommes dans un groupe d’une vingtaine). Pour ceux qui ne le savent pas encore les femmes vivent plus longtemps que les hommes! C’est prouvé statistiquement.

http://www.statcan.gc.ca/pub/89-503-x/2010001/article/11441/tbl/tbl001-fra.htm

Lors de ces trois mois de résidence, j’ai dû me plier à un horaire serré, tout était planifié rigoureusement, à mon plus grand étonnement d’ailleurs. Moi, qui d’ordinaire jongle assez facilement avec l’imprévu, là une rigueur militaire était de mise. À midi, on mangeait, à 14 h, cours de chant, et à 16 h, apéro. Eh oui, même à 80 ans passés, pas question de louper un apéro! Donc même durant nos sorties, je devais m’assurer qu’à 16 h tapant que l’apéro serait servi.

Je suis devenue en quelque sorte la petite fille ou la parente de certaines. Elles me racontaient leur divorce à 70 ans, l’arrivée à la maison de retraite, l’aménagement de leur nouvel appartement, mais j’étais également au courant de tous les ragots de la maison. Qui convoitait qui, et qui prenait la dernière part de dessert…

Mon projet était assez simple, encore une fois à mes yeux.  Parler de leur vie et des jeux qu’ils jouaient jadis. Ensuite, on mettait tout ça en scène et je photographiais.

« Ma chère Sandra, comment veux-tu que je pose pour toi quand tout ce que j’ai dans le visage tombe? Je deviens molle et sans intérêt, pourquoi ne cours-tu pas à la salle de sport te trouver des modèles musclés et par le fait même un bon mari? »

Moi : « Un français, jamais…. »

Trois mois, j’ai bien dit trois mois que ça m’a pris pour faire les photos. À chaque rencontre, j’avais l’appareil qui me pendait au cou et j’essayais de les convaincre qu’elle était parfaite pour être modèle et qu’il fallait montrer leur beauté aux autres.

Elles me prenaient pour une folle ou encore pour une illuminée.

Mais j’y suis arrivée et les anecdotes de cet épisode sont savoureuses.

Faire de la photo avec des aînés à 28 degrés Celsius (et oui ça arrive des fois dans le Nord de la France),
ça veut partir avec une glacière toujours remplie de bouteilles d’eau. J’avais développé un oeil expert pour dégoter les coins d’ombre et mes mains étaient remplies d’ombrelles.03

Une de mes mamies s’était mise en tête de monter sur des échasses (elle avait plus de 85 ans), nous étions donc cinq autour d’elle pour l’aider à grimper sur ces choses de plastique de 15 cm. Elle me criait : « Allez va faire ta photo avant que je tombe. » Et plus tard : « Tu as le numéro du SAMU (ambulance) si jamais ça arrive? » Inquiète, je courais vers l’appareil, faisais clic clic et je revenais en courant pour l’aider. « Ah, ces jeunes, ça court tout le temps pour rien. » Moi, en sueur, je lui répondais avec mon plus beau sourire.

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Nous avons également effrayé la dame qui s’occupait de la maison de retraite, car un de mes modèles m’avait demandé une carabine à plomb. Plus jeune, son jeu préféré était de tirer sur les pigeons qui s’aventuraient trop près de la maison. Je lui ai donc apporté le tout, sans penser que cela causerait tout un émoi. Dans la cour arrière de la maison de retraite, il s’est mis à viser tout ce qui bougeait.

« Monsieur Dufour que faite vous avec ça? »
« Mais vous êtes devenu fou, ma foi. »

Un peu gênée, je regardais la scène en tentant d’expliquer que la carabine n’était pas chargée.

Chose que je ne savais pas, ce cher Monsieur Dufour était un vétéran de 39-45 et par moment, des souvenirs étranges lui revenaient. L’incident clos, nous avons bien ri.

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Pourquoi je parle d’un truc qui s’est passé en 2009? Simplement parce que ma prochaine exposition présente ces photographies aux côtés d’une toute nouvelle série sur laquelle je travaille en ce moment. Après m’être intéressée à la notion de jeu avec les aînés, je me penche sur l’abandon des jeux d’enfants chez les adolescents. Travailler avec des ados, qu’est-ce que j’ai des idées étranges parfois.  En même temps, ce n’est pas pire que de partir trois mois dans le Grand Nord québécois ou de passer des nuits entières dans un port de pêche.

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