Le jour où j’ai eu envie d’aller porter mon chien sur le bord de la 40

Le jour où j’ai eu envie d’aller porter mon chien sur le bord de la 40

CLIC CLIC CLIC

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Comme une musique, mes doigts tapent sur le clavier, mon index monte et descend doucement sur la souris sans fil, tandis que mon pouce droit et mon majeur créent une légère pression sur celle-ci afin de lui donner une fluidité sur le bois de mon bureau. Mes yeux sont rivés à mon écran, il semble être le seul tableau ouvert vers un monde possible.

CLIC CLIC CLIC

 Ma photographie devient informe, on ne perçoit que des taches de couleurs, on pourrait croire à un tableau abstrait. Dans cette jungle de couleurs et de petits carrés, je chasse. Lunette sur le bout du nez, main agile, je fais glisser le curseur de gauche à droite et de haut en bas, le tout de façon méthodique. Aucune de ses particules ne doit passer au travers de mon inspection.

CLIC CLIC CLIC

Mon regard se fige, je change d’arme. Je tamponne, CMD +, CMD – , je fixe, est-ce que mes corrections altèrent mon image? Je deviens folle, je ne sais plus ce que je vois. Mais pour l’instant, plus de 20 d’abattues.

CLIC CLIC CLIC

Encore un peu, mes yeux louches. Des tasses s’empilent près de mon clavier, de ma souris et de ma palette. Je reste figée, sans trop bouger, seules mes mains sont actives. Tel un chasseur dans sa cache, je regarde chaque élément afin d’apercevoir le détail qui me signale de dégainer avec justesse sur ma cible.

BONG BONG BONG

On me fixe, on me regarde avec insistance. « Mais quoi, je n’ai pas le temps ». Mon regard retourne sur mon écran.

BONG BONG BONG

On me fixe plus intensément, la tête sur le côté, mon petit bâtard implore une sortie au parc. Il reprend doucement sa balle, la relance sur le plancher.

BONG BONG BONG

 Il me la colle sur la jambe. Il pousse la balle avec son museau, en la dirigeant vers moi. La reprend, la relâche.

BONG BONG BONG

Je lui caresse la tête et l’invite à se recoucher dans son panier qui est tout juste à côté et même en dessous de mon bureau. Il soupire, prend sa balle et se couche.

CLICLICLICCLICLICLICLICLICLICLIC

Je suis frénétique…

CLICLICLICCLICLICLICLICLICLICLIC

BONG BONG BONG

Quatrième tentative pour attirer mon attention à l’extérieur de ce monde de petits carrés. Je tends de nouveau la main vers sa petite tête, mais par je ne sais quel miracle, je lève les yeux vers le coin supérieur droit de mon écran.

« Quoi! Il est 20 h, pauvre petit chien. » Vite vite, je me lève. Je prends mon iPhone, une clope et mes clés. Je file mettre mon manteau, il court près de moi. On tombe presque, car l’excitation est à son comble. ON VA SORTIR AU PARC… Je me laisse porter par la joie de mon chien. Une sorte de soupape de tension.

Et hop…

Nous courons ensemble dans le parc. La joie est parmi nous, une neige folle est sous nos pieds (pattes). Elle crée un moment féérique. Je lâche la laisse et l’invite à courir comme jamais dans cette neige qui lui est offerte… Il saute, il creuse, il se retourne et il se frotte. Oh oui! Il se frotte dans cette neige. De petites pensées traversent mon esprit : «C’est bien mon chien, continue, ça va te laver un peu » ou « Épuise-toi mon chéri, dès que nous allons rentrer, tu dormiras. »

Je vais tout de même le rejoindre. Je cours avec lui. Je lui offre même un biscuit que j’avais dans la poche de mon manteau.

C’est bien de s’amuser, mais j’ai un deadline pour demain. « Aller mon chien, on rentre. » On revient tranquillement, il sent tout sur son passage, la vie est belle, nous sommes heureux.

Et hop.

On entre, on essuie les pattes et il part boire de l’eau.

Je touche, je retouche, encore et encore… les poches de mon manteau. NON! Panique, mon rythme cardiaque augmente. Mon petit bâtard revient, croit que je veux encore jouer. Je regarde partout, sous les bottes, dans les bottes, je retourne mes poches dans tous les sens, je regarde dans ma tuque, dans mes gants, sous le chien… Mon iPhone n’est pas là.

Je remets mes bottes, et tout mon attirail. Je ressors en courant, mais cette fois sans joie… je regarde dans tous les coins, je refais le trajet en entier et rien. Que du blanc aucun petit carré noir, pourtant j’avais bien pratiqué ma chasse. Depuis des jours et des heures que je regarde des formes floues semblables à cette neige folle qui se trouve devant moi. Mais non, rien de rien, pas de pixels noirs grossis à 400 % dans cette masse blanche.

Je rentre triste, je me sens nue, pourtant je porte beaucoup de vêtements, mais le sentiment reste. Je suis nue.

Entre temps, pour se faire plaisir mon petit bâtard a décidé de se créer sa propre neige dans la maison. Il déchiquète des tonnes de mouchoirs et de papiers, pris allégrement dans les poubelles.

Désespérée, je retourne chasser dans mon bureau. Qui sait, je vais peut-être apercevoir mon iPhone dans cette masse de couleurs… Bruno, le chien finira par venir me lancer sa balle, et me montrer avec fierté son nouveau manteau fait de boules de papiers.

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